Il y a très longtemps que l’homme a compris quil peut manipuler l’information à son avantage. Il ne s’en est jamais privé. Aujourd’hui, le flot incommensurable d’informations auxquelles qui nous inonde façonne bien plus notre pensée qu’il y a seulement un siècle.
Documentaires, journaux, actualités, « enquêtes », communications, « débats », etc. La plupart d’entre nous construisent leurs idées et opinions au gré des marées d’informations dont nous sommes abreuvés.
Et il faut bien être honnête: nous ne surfons pas sur les vagues de l’information. Nous peinons à sortir la tête de l’eau.
C’est pourquoi, en contre-pouvoir de ce flot subi d’informations, l’enseignement de l’esprit critique devient un enjeu crucial dans notre monde. Un des outils est de se prémunir contre la manipulation de graphique et d’information.
Insécurité: le graphique trompeur
Aujourd’hui nous prendrons comme exemple le tweet du Ministère de l’Intérieur français. Nous verrons comment ce tweet manipule les chiffres et les interprétations de façon outrancière à son avantage. Son but est de valoriser son action contre l’insécurité. Pour ce faire il va réduire le débat aux cambriolages uniquement. C’est très arrangeant pour lui, comme nous le verrons. Ensuite, techniques classique de manipulation. Nous en verrons 3:
- Le glissement sémantique
- La manipulation de graphique
- La dissimulation de causes.
Le tweet
Ecce tweeto (voici le tweet)
Deux choses sont à lire sur ce tweet. Deux simples phrases:
- LE GOUVERNEMENT LUTTE CONTRE L’INSÉCURITÉ
- Les cambriolages baissent fortement depuis le début du quinquennat
Toujours lire les petits caractères !
Notons une première manipulation. La première phrase est écrite en capitales, et donc se positionne comme celle qui aura le plus d’impact aux yeux du lecteur. Dans cette phrase on parle d’insécurité. Donc le graphique montre que l’insécurité (meurtres, viols, agressions, etc.) recule en France. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle, non ?
Mais lisez toujours en bas du contrat. La phrase suivante est hiérarchiquement bien plus basse que le « titre », l’accroche. Elle parle de la baisse des cambriolages. Donc ce qui laissait entendre une baisse massive de la sécurité ne concerne que les infractions non corporelles. On peut invoquer une imprécision de langage. Vu le passif du ministère actuel, j’aurais tendance à être moins indulgent. D’autant que, si on « ventile » les infractions par type, le nombre de cambriolage est l’élément qui tire tous les autres vers le bas, pour une raison toute simple et non évoquée par le ministre.
Manipulation de graphique: c’est dangereux de retirer l’échelle !
Tronquer un graphe permet d’exagérer les effets qu’on veut montrer. On « ballonne » le dessin du graphe en recadrant, zoomant ou dé-zoomant la vue. C’est un effet purement visuel mais d’une efficacité redoutable !
Ce qui est suggéré
Ce qui nous frappe lorsqu’on regarde le graphique, c’est l’efficacité de l’action du gouvernement. La pente de la tendance est vraiment impressionnante ! La baisse est très significative. À tel point qu’on peut penser que le gouvernement actuel a commencé à résoudre totalement le problème de l’insécurité des cambriolages: avec la pente actuelle, on sera à zéro infractions dans 18 mois !
Et en réalité ?
Sauf que… Sauf que le graphique n’est pas complet. Il manque toute la partie basse. Le « socle commun » à toutes les années passées. La graduation du bas, le « zéro » qu’on a l’habitude de placer sur l’axe des abscisses, vaut en fait 150 000. Pour juger de la vraie tendance, il faut donc regarder le graphe complet. Mettons-les donc en face l’un de l’autre:
Quel bénéfice de mettre le graphe complet ?
- Tout d’abord, la tendance qui semblait chaotique devient subitement plus lissée.
- Corollaire du premier point: la baisse spectaculaire annoncée dans le graphe tronqué perd en panache dans le graphe complet. Elle existe toujours, mais est bien moins marquée lorsqu’on regarde les données réelles.
- Le graphe officiel pouvait laisser penser que les précédents gouvernements avaient créé l’insécurité, et que l’actuel allait faire rien de moins que de l’éradiquer. Ce qui est faux. Même si on n’a pas les données pré-2008, il est raisonnable de penser, au vu du point de départ du graphique complet, que l’insécurité a vraisemblablement toujours existé.
- Enfin, là où le graphique pouvait nous amener à croire que le gouvernement allait bientôt totalement résoudre le problème de l’insécurité, on voit qu’on est encore loin du compte
Conclusion: une présentation biaisée d’un graphique peut induire en erreur sur de nombreuses informations. Le tronquage de données ou de leur représentation est une technique extrêmement répandue pour mésinformer, voire désinformer.
Filtrer les éléments d’information
Dernière manipulation, et non des moindres: l’interprétation simpliste et biaisée. On y inclut:
- La dissimulation implicite d’effets, voire leur négation
- La suggestion implicite de causes
- L’échange implicite d’une cause par une autre
C’est la forme la plus directe, la plus grave, et sans doute la moins pardonnable de toutes. On voit qu’elle est surtout le résultat « d’oublis » de mentionner des éléments. Cet oubli, ce « mensonge par omission », est une technique de manipulation également très répandue.
Ce qui est présenté
Le tweet accompagné du graphique montrant une baisse (visuellement très exagérée) des cambriolages indique que « cette baisse est liée à l’action du ministère de l’Intérieur ». L’action du gouvernement en matière de sécurité concerne les moyens mis en œuvre de façon directe pour faire diminuer et prévenir la délinquance. Ces moyens directs sont les seuls dont un ministre peut s’enorgueillir. Toute baisse conjoncturelle, tout « effet de bord » est appréciable, mais de découle certainement pas de son action.
L’année 2020 a été l’année d’une baisse spectaculaire des cambriolages. Conclusion logique: il ne peut y avoir que l’action du gouvernement pour expliquer cela. Que pourrait-il y avoir d’autre ?
En fait, il y a bien une raison qu fait que les cambriolages baissent fortement. Le fait que les gens soient plus souvent chez eux est bien plus concret et dissuasif que n’importe quelle mesure policière. Lors d’un confinement par exemple ?
La réalité
Les confinements sont les évènement outrancièrement majeurs de ces dernières années. Il est absolument impossible pour une personne bénéficiant d’un accès à un strict minimum d’information de l’ignorer. Il est absolument impossible pour un ministre et ses conseillers d’omettre honnêtement une cause aussi directe et majeure de diminution des cambriolages. L’omission de cet élément capital pour expliquer la diminution des cambriolages ne peut être autre que volontaire.
C’est toute la subtilité et le cheminement de ce tweet: glisser de l’insécurité vers les cambriolages, que les confinements successifs expliquent très bien. Ensuite omettre lesdits confinements pour tirer la couverture à soi.
La lecture de ce tweet revient à « remonter » le raisonnement: les cambriolages ont baissé, implicitement grâce à l’action du gouvernement, et par un subtil changement de vocabulaire et de présentation de graphe, « Le gouvernement lutte contre l’insécurité avec des résultats époustouflants ! » Mensonge et manipulation, mais encore faut-il posséder les outils pour en voir les ficelles.
Conclusion
Il est extrêmement important, comme nous l’avons vu, de regarder avec une attention particulière les informations qui nous sont présentées. Comme un matelas d’occasion est un nid à puces, un graphique de seconde main est un vivier de désinformation. Twitter impose une concision des messages. Il est donc le support idéal pour dissimuler les informations que l’on souhaite, au prétexte qu’on ne peut pas tout dire.
Ce tweet est un concentré de mensonges: rien de ce qu’il dit ou veut faire paraître est vrai. Son utilité dans le débat public est non seulement nulle, mais négative. La volonté de tromper ne fait aucun doute.
Mais la première raison pour laquelle nous avons pris cet exemple, c’est pour montrer la nécessité de suspendre son jugement en recevant l’information, et de se poser quelques questions basiques avant d’y accorder la moindre confiance. Les questions développées dans ce billet en sont un exemple[1]Pour creuser la question de façon ludique, on peut se référer (entre autres) aux excellentes chaînes youtube du Défakator, Horizon Gull, Hygiène Mentale et la Tronche en Biais.
Post-Scriptum
Malgré ce que nous venons de montrer, il y a toujours la possibilité d’essayer de se sortir de ce mensonge: « Les cambriolages ont été diminués par les confinements. les confinements ont été pilotés par le ministère de l’Intérieur. Donc vous voyez bien que c’est grâce à l’action du gouvernement que les cambriolages ont baissé ».
Remarque vide de fondement: les cambriolages ont baissé par un effet secondaire indirect des confinements. Il serait donc tout-à-fait inapproprié de se rengorger dans un tweet qui émane, de toute façon, d’un ministère dont l’action est déterminée par l’action de la police, et non par la politique de santé publique. Argument invalide, donc. Juste au cas où.
Notes
↑1 | Pour creuser la question de façon ludique, on peut se référer (entre autres) aux excellentes chaînes youtube du Défakator, Horizon Gull, Hygiène Mentale et la Tronche en Biais |
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