Lorsqu’on a besoin de mettre en avant ses compétences, on pousse notre CV sur la table. Que ce soit lors d’un entretien d’embauche ou d’une discussion, notre CV est le lien vers notre crédibilité.
Vraiment?
Ce post va tenter de proposer de regarder de plus près la valeur d’un CV, et de montrer qu’il ne faut jamais faire confiance à CV seul, et que le CV devrait être la dernière chose que l’on regarde pour établir la crédibilité d’une personne. Il va également tenter d’expliquer pourquoi, lorsqu’une personne passe la moitié de son temps de parole à souligner que « son CV est le meilleur du monde et que personne ne lui arrive à la cheville », alors il est impératif de n’accorder aucune crédibilité à cette personne1.
Le CV en deux mots
CV signifie « curriculum vitæ », qui se traduit « déroulements de la vie » en français. En anglais, le terme « resume » est peut-être encore mieux choisi, puisqu’il résume une bonne partie de notre vie. En plus il évite la pédanterie de prononcer des mots en latin…
Le CV donne beaucoup d’informations sur son propriétaire: son cursus de formation, ses expériences professionnelles passées, ses centres d’intéret, ses compétences, etc. En fait il peut être aussi complet , détaillé et étendu dans le temps qu’on le souhaite.
On peut lire et analyser un CV pour « lire entre les lignes » et inférer certaines informations avec un degré de confiance très variable, comme la capacité de la personne à garder un emploi pendant un temps minimum, la partie de carrière où la personne se trouve, ses attentes probables, etc.
Malgré tout il ne saurait être raisonnable de voir une personne sous le seul angle de son CV, qui peut être mal fait, exagérément embelli. Par ailleurs il existe aujourd’hui tellement de moyens d’accéder à des milliers de modèles de CV tout faits, voire à des prestataires qui font votre CV, qu’il est devenu illusoire de déterminer la personnalité de la personne à partir de son seul CV, qu’il soit vieillot, hystériquement tapageur, cauchemar pour un non-daltonien…
Même si le CV semble être le morceau noble, le tournedos Rossini de la présentation d’une personne, relativiser la valeur du CV est une excellente pratique pour ne pas se tromper et accorder une crédibilité adéquate à celui ou celle qu’il représente.
Lors d’un recrutement
Il peut y avoir plusieurs buts à un recrutement: bien sûr, il s’agit pratiquement toujours de faire entrer une personne à un poste dans une entreprise. Mais là où les objectifs diffèrent, c’est sur la façon d’y arriver: où mettre le curseur entre le temps passé à recruter et le taux « d’erreurs de casting » que l’on s’autorise? La réponse variera selon chaque cas.
Certains recruteurs font appel à des heuristiques pour filtrer les CV à leur place. C’est de mon point de vue une très mauvaise pratique. Un excellent CV mais trop « original » peut échapper aux algorithmes de filtrage, de même qu’un CV quelconque et calibré pour les robots passera, sans encombre mais artificiellement, cette étape.
Lors des mes activités de recrutement, pour de multiples raisons, le but premier était d’atteindre une entrée d’excellence maximale pour un taux d’erreur de zéro. La conséquence de ce curseur poussé à la limite était que les recrutement prenaient du temps: non seulement une personne lisait le CV des candidats, mais toutes les personnes impliquées dans le recrutement le faisaient également. Une première étape qui permettait de ne pas se focaliser sur la forme du CV, mais bien sur le fond2
Tiré de mon expérience passée
Dans la vie courante, CV = danger !
Il peut arriver qu’une personne mette son CV en avant pour obtenir une crédibilité, une aura positive dans un débat. Il faut alors faire très attention avec ces personnes. Une personne qui a besoin de se cacher derrière son CV devrait immédiatement allumer toutes les lampes rouges d’un esprit critique affûté !
Et c’est là que la vraie valeur d’un CV doit absolument apparaître: un CV est un résumé d’une vie passée. Il ne dit rien, absolument rien du tout, de ce que la personne est au moment où on interagit avec elle. Le CV liste des expériences passées, que l’on doit pouvoir vérifier.
La seule chose dont vous pouvez être sûr en lisant mon CV, c’est que j’ai eu un niveau suffisant en 1996 pour obtenir une Maîtrise en Informatique. Que devriez-vous en dire en 2021? Pas grand chose finalement: vous devrez tout d’abord savoir quel était le niveau des la Maîtrise Informatique dans l’université en 1996; puis vous devrez croiser avec la suite de ma vie: que j’ai un passé confirmé de développeur, d’ateliers de macramé ou de chef d’entreprise, change considérablement la donne sur ce que pourraient être mes compétences en informatique à l’heure actuelle.
Et dans tous les cas, ce n’est probablement pas le fait que j’ai eu une maîtrise qui vous intéressera, mais plutôt de savoir ce dont je suis capable aujourd’hui.
Personnellement, je n’accorde pratiquement plus aucune valeur au diplôme que j’ai obtenu il y a bientôt 30 ans. Ce qui m’intéresse chez moi aujourd’hui, ce sont les compétences que j’estime les miennes maintenant.
Un mathématicien qui a eu la médaille Fields en 1962 peut, en fonction de multiples facteurs (réorientation, maladie, sénilité, accident, etc.), ne plus avoir aucune crédibilité en mathématiques. Mais si la seule mention de sa médaille Fields lui assure l’écoute servile de son auditoire, alors il devient quelqu’un de dangereux pour sa discipline et pour son entourage. Il peut devenir un gourou dont on boit les paroles sans jamais se demander si ce qu’il dit peut être cru ou non.
Conclusion
Contrairement à ce qu’on a tendance à penser intuitivement, le CV d’une personne n’a qu’une valeur extrêmement limitée. Il parle d’un passé qui peut être largement révolu, et présenter le présent sous un jour qui peut être complètement faux. Si vous devez interagir avec une personne qui n’est pas confrontable, au motif que son CV est plus imposant que le vôtre, alors deux solutions: vous parvenez à faire entendre que son CV n’est pas un gilet pare-balles contre la critique et le débat; si ce n’est pas possible, alors fuyez cette personne: elle est probablement extrêmement malsaine, tente de vous manipuler et vous faire avaler n’importe quoi. Elle n’a certainement pas (ou plus) les compétences dont elle se targue à travers son CV et non à travers ce qu’elle est aujourd’hui3.
Un bon spécialiste doit pouvoir d’une part vulgariser sa spécialité au plus grand nombre sans en travestir l’intégrité, et d’autre part recevoir une confrontation à laquelle il répond par des arguments acceptables par rapport à son domaine: donner des preuves scientifiques, donc méthodologiques, publier ses sources brutes pour vérification, etc. Quelqu’un de fier de son travail n’hésitera jamais à vous expliquer ce qu’il a fait. Quelqu’un de fier de lui ne voudra pas montrer ce qu’il a fait: il voudra seulement se montrer, lui.
Notes
- Aucun ex-scientifique marseillais n’a été maltraité pour l’écriture de ce billet.
- Une personne seule, même expérimentée, peut facilement se laisser biaiser par la forme d’un CV. Mais lorsque plusieurs personnes lisent le CV et échangent dessus, il devient beaucoup plus probable que les biais de certains seront vus et dénoncés par d’autres.
- Aucune théorie n’a été plus vraie parce que son créateur a mis en avant son CV pour la faire accepter. Ce n’est pas parce que c’est Mendeleïev qui a élaboré le tableau périodique des éléments que cette théorie a été vraie: c’est parce que la théorie de la périodicité des éléments s’est avérée vraie que Mendeleïev est devenu célèbre. A contrario, lorsqu’il a élaboré sa théorie sur l’éther, sa notoriété n’a pas empêché cette théorie d’être totalement fausse.