Les enfants à haut potentiel sont des personnes attachantes, vives, créatives, serviables, qui peuvent également être déroutante, déconcertantes, voire dérangeantes ou “bousculantes”. Désignés successivement comme surdoués, précoces, Enfants Intellectuellement Précoces (EIP), Haut Potentiel Intellectuel (HPI), aujourd’hui « Haut Potentiel« , ou simplement « zèbres« , ils sont également encore très mal connus, bien qu’ils fasse partie du paysage scolaire depuis des dizaines d’années.
Pratiquement chacune de ces dénominations (surdoué, précoce…) a donné une image partielle de ces enfants, et surtout les a desservis dans leur quotidien, scolaire, familial, amical, en ne fournissant qu’une seule clé sur un trousseau particulièrement étoffé.
Si on veut résumer un HP en quelques mots-clés, on dirait: Empathique, gentil, résilient, passionné, vitesse, créatif, multitâche, quête de sens, de vérité, de justice, intellect surefficace, émotionnel suractivé, sensibilité exacerbée.
Mais le plus important, qui recouvre tous les autres, est bien “atypique”. Dans chacun des domaines précédemment cités, il est capital de se souvenir que l’enfant HP est atypique; c’est-à-dire qu’il serait vain de l’évaluer à l’aune de ses camarades, de même qu’il serait absurde d’évaluer ses camarades en le prenant comme référence. Si on tente ce parallèle, on court à l’incompréhension, au conflit, à l’échec.
« Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide. – Albert Einstein. »
On trouvera ici un petit résumé des caractéristiques qui constituent souvent le profil d’une personne HP. Chaque caractéristique peut être vue comme une médaille, qui a un côté pile (des avantages) et un côté face (des inconvénients, ou des zones de vigilance pour la personne ou son entourage).
Détail sur les caractéristique d'un Haut Potentiel
Voici un résumé non exhaustif des caractéristiques principales d'une personne HP, avec les avantages de ces caractéristiques, et les inconvénients qui peuvent surgir si la personne n'est pas prise en compte dans ces spécificités. Attention: toute personne HP ne présente pas l'intégralité de ces caractéristiques dans l'exhaustivité de la description: certaines personnes HP ont plus de maîtrise sur telle ou telle capacité, et les gèrent plus ou moins bien.Médaille | Côté pile | Côté face |
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Empathique | Compréhension des autres Grande sensibilité humaine Capacité à aider | Manque de filtre Souffre des émotions des autres Particulièrement sensible au désespoir, pour lui mais surtout pour les autres Peut conduire à se renfermer sur lui-même pour se protéger |
Gentil | Prêt à rendre service, à aider | Peut se faire marcher sur les pied Souvent particulièrement vulnérable au harcèlement. |
Résilient | Capacité à rebondir, à trouver du positif | Possiblement manque de considération: "il supporte tout, on peut y aller" |
Passionné | Creuse à fond un sujet Capable d'une grande concentration | Peut en oublier tout le reste, et passer pour asocial, voire autiste Capable de démobiliser toutes ses ressources si le sujet ne l'intéresse pas |
Vitesse | Grande capacité d'action | S'ennuie s'il n'est pas nourri |
Créatif | Capable de trouver des solutions originales à des problèmes très complexes. Imaginatif pour raconter des histoires ou imaginer des situations | S'il n'est pas constamment nourri, peut s'enfermer dans un monde imaginaire où il pourra laisser son imagination vagabonder. Perçu comme "lunaire", rêveur. |
Multitâche | Grande autonomie des intelligences émotionnelle et analytique: peut se concentrer sur un problème tout en prêtant attention à ce qui l'entoure | Mal perçu par l'entourage: défaut d'attention, voire TDAH. Peut souffrir de cet afflux d'information à gérer |
Besoin de sens | Questionne les règles, les usages. Pourquoi fait-on ça? S'il est dans un environnement compréhensif, peut souvent faire avancer les choses en profondeur. | Contestataire. Peut refuser une règle si elle ne fait pas sens pour lui. Peut être vu comme une forte tête, imperméable à la discipline. |
Quête de vérité | Creuse un sujet pour être sûr que sa compréhension est parfaitement cohérente avec son système de représentation. Capable de modifier son système de représentation s'il constate que le sujet qu'il creuse le demande pour augmenter le sens de sa représentation des choses | Infatigable questionneur, use son entourage (parents, amis, profs, etc.). Ergoteur: On ne devrait pas employer ce mot-ci plutôt que ce mot-là? Fauteur de trouble dans une classe, en demandant à l'enseignant plus de temps qu'il ne comptait en consacrer, et en destabilisant la classe qui ne comprend pas pourquoi cette nuance est importante. À l'extrême, peut être une source de renfermement pour lui. Il préfèrera creuser le sujet par lui-même, sans comprendre pourquoi la figure de référence qu'il avait devant lui le rejette. |
Quête de justice | Perçu comme assoiffé de justice. Se bat pour les causes qu'il pense justes. Pour lui la justice est une valeur fondamentale | Grande cause de souffrance profonde, s'il ne peut pas influer sur une situation qu'il juge manifestement injuste |
Efficacité intellectuelle | La fameuse pensée arborescente, qui le conduit à imaginer plein de scénarios en même temps. Lui permet de trouver des solutions particulièrement originales et inventives, en ayant un goût prononcé pour les situations qui justement s'écartent des sentiers battus. | Très difficile de faire passer ses idées: il a le sentiment que la solution surgit "spontanément" de son cerveau, et qu'elle est "évidemment" la bonne. Souvent incapable de justifier son raisonnement parce qu'il n'en a pas les étapes de manière consciente. Il doit apprendre à apprivoiser cette structuration et l'interroger a posteriori pour retrouver le cheminement qu'il pourra présenter. Peut souffrir de cet incessant foisonnement de pensées, de réflexions, de situations réelles ou fictives dont il élabore en permanence toutes les ramifications possibles sans pouvoir arrêter le processus. Peut être conduit à imaginer des solutions trop complexes ou "surefficaces" au regard du coût associé. |
Émotionnel supuissant | Très connecté à ses émotions. Il pense autant avec son cerveau qu'avec son ventre. Grande connexion également entre sa pensée émotionnnelle et sa pensée analytique. Si on lui demande pouquoi quelque chose lui semble vrai, pourra répondre "parce que je le sens là" en montrant son abdomen. | Manque de filtre émotionnel: une bonne nouvelle pourra le mettre dans une joie indescriptible, alors qu'un détail négatif pourra le mettre au fond du trou. Peut être amené à se "couper" de ses émotions pour se protéger |
Sensoriel suractivé | Œil de lynx pour tout ce qui l'entoure: voit tout, perçoit tout, a une sensibilité très fine qui peut le conduire à percevoir des informations que les autres n'ont pas perçues. Souvent, madeleines de Proust très puissantes. | Incompréhension de la part des autres qui ne partagent pas forcément son ressenti sensoriel. Possible dénigrement de la part des autres. |
Parmi les nombreuses spécificités des personnes HP, on trouve bien sûr l’efficacité du cerveau, qui est la caractéristique la plus connue pour un HP, ce qui conduit souvent à la principale incompréhension: « il/elle est supérieurement intelligent, comment se fait-il que non seulement il ne réussit pas en conséquence, mais en plus il pose des soucis et demande du temps spécifique pour s’occuper de lui ». Avec souvent les attributs qui suivent: « poil dans la main », « n’exploite pas ses capacités », « pourrait réussir s’il s’en donnait la peine »
C’est que le panorama d’un enfant HP est bien plus large que la simple efficacité cérébrale, qui n’est qu’un ingrédient parmi d’autres d’un coktail détonnant: si le cerveau intelligent est hyper performant, le cerveau émotionnel l’est également. La conséquence est que le HP voit toute sa personnalité teintée, inondée, envahie, voire polluée, par des émotions intenses dont il lui est impossible de se défaire ou de contrôler. Ces émotions sont liées à une sensibilité à fleur de peau: il perçoit tout ce qui l’entoure de façon aiguë, et se focaliser sur une seule chose lui est intrinsèquement extrêmement difficile. Il est capable de diviser son attention, donc de “prendre des entrées” sensorielles tout en écoutant ce qui se dit devant lui. Mais tout ceci a un coût: c’est fondamentalement épuisant. Mais il a peu de moyens d’action sur ce qui le constitue en profondeur.
De même, s’il peut être efficace sur la tâche principale en cours, l’enseignant va remarquer qu’il prête aussi attention aux bruits de dehors, aux bavardages des autres élèves, au poster qui se décroche, etc., et l’interprétera comme un signe de désintéressement. De là le risque de le classer par défaut dans la case paresseux, voire TDAH, est grand.
Einstein est considéré comme l’un des plus grands cerveaux du début du 20ème siècle. Néanmoins, il n’était pas le meilleur élève qui soit. Il séchait les cours, il rata son examen d’entrée à la prestigieuse ETH (école polytechnique fédérale) de Zurich, même s’il réussit finalement à y rentrer. Durant sa scolarité, il avoua qu’il était « incapable de suivre les cours et de les travailler de façon scolaire ». Il étudiait cependant par lui-même les travaux des scientifiques de son époque.
Pour autant, le constat scolaire négatif habituellement associé aux enfants HPI n’est ni une fatalité, ni même une règle: les enfants HP en véritable échec de performance sont rares, et réussissent souvent mieux que les autres. Mais le prix à payer est moralement exorbitant pour eux: sentiment de décalage par rapport aux autres et aux professeurs, de ne pas être pris en compte, au sérieux, d’être persécuté par un enseignant qui ne comprend pas sa manière de fonctionner et tente de le faire rentrer de force dans un moule plus connu de sa pratique. Il peut en résulter une perte de confiance en soi, une résignation à se considérer comme « inadapté », parfois même une stratégie pour s’en convaincre. Ou encore de la tristesse ou une grande colère contre lui-même, le système enseignant, les parents…
Pour aller plus loin
Il y a actuellement un débat sur l’association entre HP et problèmes. La France semble être le pays dans lequel cette association est la plus marquée, ce qui fait dire à certains que ce paradigme est une vue de l’esprit, une construction intellectuelle sans fondement.
Mais une autre façon de voir les choses est de s’apercevoir que peut-être, en France, ce paradigme a été construit, échafaudé, instancié, en refusant de voir et de comprendre les enfants HP, en les voyant pour ce qu’ils ne sont pas et en ne les voyant pas pour ce qu’ils sont. Bref, en se fourrant le doigt dans l’œil à leur sujet.
Entendons-nous bien: un enfant HP a, sur le papier, des qualités gigantesque, des aptitudes hors normes, servies par un fonctionnement cérébrale unique et une acuité sensorielle et émotionnelle hors du commun. Mais il y a un mais: un moteur de Formule 1 est extraordinairement puissant, mais si vous le nourrissez avec un carburant inadapté, au mieux il sera très inférieurement performant, au pire, personne n’en tirera rien et il s’usera prématurément.
En France, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, la politique de l’éducation nationale en France a été « l’école absolument égalitariste pour tout le monde ». Si on passe sur le fait qu’il saute aux yeux de la première personne un tant soit peu douée de logique que le terme « égalitariste absolu » ne recouvre que du vent, l’égalité absolue entre plusieurs millions d’individus est une chimère, l’instanciation de cette politique « égalitariste » a été absolument désastreuse pour les personnes HP: ne surtout pas enrichir davantage les gens déjà riches intellectuellement. On a créé un moule, le même pour strictement tout le monde (donc égalitariste pour les têtes « pensantes » de l’époque). Il n’était absolument pas venu à l’idée que le moule pourrait mieux convenir à certaines personnes plutôt qu’à d’autres, et devenir par là-même profondément inégalitariste. C’est exactement ce qui s’est passé: le moule éducatif imposé est devenu un véritable lit de Procuste pour les personnes HP, qui sont infiniment passionnés pour les sujets qui les intéresse, et infiniment dépassionnés pour ce qui ne les intéresse pas, ou ce qui ne fait pas sens pour eux. Comme le programme éducatif français ne met aucun accent sur le « pourquoi », mais uniquement sur le « comment », les enfants HP était par construction exclus de ce système « égalitaire ». Comme la vision qu’on avait d’eux était qu’ils étaient « supérieurs » aux autres enfants, on ne pouvait que s’attendre à ce qu’ils s’intègrent encore mieux au moule, alors qu’ils passent leur temps à essayer de briser ce moule. De là naît une véritable répugnance de certains enseignants à l’égard de ces enfants « atypiques », « fainéants », « partisans du moindre effort », « imperméable à toute forme de discipline scolaire » (en général ils sont plutôt gentils et sages).
Raphaëlle est une lycéenne, en première S. Elle est douée d’un esprit parfaitement cartésien, posé, analytique, compréhension très vive. Depuis le début de l’année, elle se sent couler dans ses cours, particulièrement en mathématiques. Perdue, démotivée. Je soupçonne que le cours manque de sens pour elle, et pourrait être la cause de sa démotivation: pour chacun des chapitres de son cours, je lui fait faire une liste de fiches qui expliquent précisément à quoi servent les notions de ce chapitre: pourquoi on les a inventées ou découvertes, à quoi elles peuvent servir concrètement. Ca a été une révélation pour elle, qui découvrait que ce n’était pas une suite de symboles ampoulés créés juste pour faire joli, mais qu’elle pourrait en tirer parti. Bref, donner du sens à son cours. Je découvre effectivement par la suite que le prof avait axé son cours sur les formules et les techniques. Aucunement sur le sens (le pourquoi) de ce qu’il faisait.
Si l’on excepte les classes « traditionnelles » adaptées aux HP, qui incluent des personnels formés pour appréhender spécifiquement les enfants HP, les seuls établissements qui peuvent accueillir sereinement et de façon raisonnablement certaine les enfants HP sont justement les écoles alternatives, Montessori, Steiner, etc., dont le fonctionnement structurel est non pas basé sur un programme dans lequel doivent se couler bon gré mal gré les enfants, mais centré sur l’enfant lui-même, sur ses appétits du moment pour l’apprentissage, sur son fonctionnement propre, bref, dans une logique implacablement saine, les écoles centrés sur ceux qu’elles sont censées instruire et non sur l’objet de l’instruction. Pour le reste, la scolarité de l’enfant dépendra uniquement de la volonté de l’enseignant de considérer l’enfant comme un individu propre, de se donner et de lui donner les moyens de la réussite pour lui, et non pour les camemberts de l’EN; en d’autres termes, sa scolarité se réduit à un jeu de probabilités qui, aujourd’hui encore, est largement en sa défaveur.
Attention: qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit: les écoles alternatives ne sont pas sans défaut, et il y a des enseignants dans les écoles traditionnelles qui sont des personnes formidables, qui prennent chaque enfant dans son authenticité, qui ont la faculté de voir du positif dans chaque situation et dans chaque individu, qui aident chacun d’eux à sa mesure, à tirer le meilleur de lui-même. Ce qui est absolument certain, c’est que, structurellement, l’institution de l’Education Nationale est profondément et indéfectiblement inadaptée, inégalitaire, oppressive et inique à l’égard des enfants HP qui voient cette institution responsable de leur construction culturelle comme un arbitraire odieux, infondé et illégitime.